Errances

12 janvier 2021

Jeanne Dielman II

Filed under: musardises — Étiquettes : — errant @ 17:10

C’est un café, juste un modeste petit café, situé au bas du quai du commerce. Les panneaux de bois massif qui tapissent les murs étouffent toute la lumière, même les jours de beau temps, mais elle y a ses habitudes, voyez-vous. Elle s’y arrête volontiers lorsqu’elle remonte ses commissions jusqu’à son appartement. Pas exactement tous les jours, non, seulement si elle peut se le permettre, si elle n’a qu’à réchauffer le repas de ce soir, si elle n’est pas trop en retard sur ses ouvrages. Elle aime s’installer à la première table, juste à côté de l’entrée, car elle ne s’attarde pas. Elle aime occuper toute la banquette, car elle est habituée à la solitude. Elle n’a pas besoin de commander, Gisèle sait que pour Jeanne, ça sera un café au lait, avec deux sucres. Elle défait son foulard et lisse les plis de la soie avec son pouce, un merci poli pour la serveuse – elle l’aime bien, Gisèle, toujours soignée, toujours prompte à la servir, jamais bavarde. Elle aime penser que ce petit café du milieu d’après-midi est son moment privilégié, ses trois minutes trente de pause, de plaisir et de paresse. Elle essuie une gouttelette de lait du bout de son index et laisse son regard se perdre dans le vide, en tournant la cuillère dans la tasse, s’inquiète un peu, pour sa sœur, pour son fils, et il est déjà l’heure de rentrer. Soupir. Elle compte ses petites pièces, un petit quelque chose pour Gisèle, et termine de boutonner son manteau de pluie en quittant le café. Les talons pressés de Jeanne résonnent sur les pavés du quai du commerce.

Aucun commentaire »

No comments yet.

RSS feed for comments on this post.

Leave a comment

Powered by WordPress