Errances

6 octobre 2021

Le Visage-sans-nom partie 3 (fin)

Filed under: - Casimor,passerelles — Casimor @ 15:49

Des livres pleins de noms dans les mains. Un regard lointain appuyé par de fins sourcils légèrement soucieux. Elle me regarde sans me voir. Immobile, je me demande si je suis le premier à regarder son visage, sinon combien de temps me sépare de la dernière fois. En regardant sa posture, une main posée sur la pile que tiens l’autre main, un pied en avant, je comprends qu’elle attends que je m’écarte à mon tour. Embarrassé, je lui laisse la place d’échanger des ouvrages vierges avec ceux qu’elle a amandé de son écriture. 

À son départ, la foule des sans-visages se précipite, animée d’une voracité nouvelle, sur la poignée de volumes qu’elle a édité. Contre l’étagère, ils se pressent avec assez d’intensité pour se mêler en une brume infiltrant chaque page de chaque document. Bloqué, je ne peux que respirer ce brouillard chaud et acide. Mon équilibre affaibli, je prend appui sur une rangée de livres. Autour de ma main je sens les pages aspirer un air de plus en plus épais. Avec l’étouffement viens l’aveuglement, j’oublie la raison de ma présence, ma mémoire devient distante comme le souvenir d’un rêve après le réveil. Il ne me reste qu’un présent submergeant, un vertige grandissant et l’ancre de ma main se crispant sur une couverture de cuir que j’emporte en basculant.

Au sol, l’air, plus léger, me rafraichi. J’y reste, le temps que la nuée frénétique se déplace, appelée par une nouvelle addition à la liste des noms et me dirige vers une table de consultation pour reprendre mes esprits. Ici, elles sont toutes libres, je comprends pourquoi les usagers, ne s’attardent pas dans ces rayons. J’ai toujours dans les mains un exemplaire en cuir. Naturellement, il s’agit d’une autre liste de noms, cependant, celle-ci est manuscrite. Bien que je ne reconnaisse pas toutes les lettres, elles sont remarquablement exécutées. Certains mots sont émoussés, ils ont étés portés, parfois trop de fois pour être lisibles. 

Ça devrait laisser de la place pour y ajouter quelque-chose. Quelque-chose de nouveau, un nom qui n’est pas encore apparu dans l’infini, quelque-chose qu’elle n’a pas écrit.

Je dessine un cercle orné de quelques lignes. Il est au centre de la page. Je n’avais jamais écrit dans l’infini auparavant.

C’est comme crier dans le vent. 

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