Errances

28 décembre 2021

Plainte d’un élève de 5eme année Art

Filed under: passerelles — Casimor @ 14:00

Il faut redoubler d’effort. Va falloir s’y mettre. Il faut lire ces 6 bouquins  et regarder ces 14 artistes. Il faut lire les magazines et faire le plus d’expos possible. Va faire des stages ! Fait des expos en dehors de l’école ! Rempli un carnet de 100 pages en un mois ! Fait la fête ! Tombe amoureux ! Travail ! Va dehors ! Va marcher ! Soit là à telle heure ! Ecoute cette conférence ! Comment ça tu connais pas ce truc ?! Et t’es en 5ème année ?! T’as un travail de célibataire ! Faites des initiatives étudiantes ! Tu pourras jamais vendre ça en galerie ! Accroche-toi ! Soit têtu ! Regarde autour de toi !

Je suis désolé, j’y arrive pas. Je sais pas comment j’ai pu me faufiler jusqu’à la dernière année. Je suis fatigué chaque heure de chaque jours. J’ai tellement essayé d’être disponible à tout que j’ai quitté un travail précaire pour m’investir pleinement dans mes études. La récompense ?

Une expo et une édition qui ne paient pas, deux voyages en cotes d’Armor, ne plus être boursier, et naturellement, ne pas pouvoir payer mon loyer de Janvier.

Heureusement que je n’ai qu’une insurmontable dépression pour emballer le tout et pas des problèmes de santé plus exténuant:  je n’ai pas besoin d’examens médicaux et mon corps, bien que frêle, supporte les efforts. Sinon j’aurais déjà eu la joie de redoubler ou d’abandonner mes études comme trop de mes collègues avant moi.

Vivre selon la pédagogie de cette maison de fous c’est avoir le privilège d’essayer de répondre aux attentes contradictoires d’un paquets d’adultes qui semblent avoir oublié, si iels l’ont déjà connu, le véritable coût de la précarité :

Je n’ai plus que 4 chaussettes, 3 d’entre elles sont trouées, je ne dors plus, je me nourris grâce aux aides alimentaire du Crous et les paniers de l’AMAP que je co-organise. Chaque effort et chaque disponibilité que j’investis dans mon BAC+5 RSA c’est autant d’effort que je ne déploie pas à trouver de quoi financer ces études exceptionnelles. Quand je dois décider quoi faire de mes journées et que je n’arrive pas à choisir, je me souviens de mes collègues étudiant.es qui me disaient :

Ouai, tout le monde a des problèmes. Les écoles d’Art c’est pas fait pour tout le monde, il faut s’en donner les moyens.

Les mêmes qui prétendent, bruyamment, participer à la déconstruction de notre modèle socio-économique, se rassurent avec un raccourci méritocratique à deux ronds en ayant l’obligeance de rabaisser un ou deux collègues en difficulté derrière. C’est remarquable.

Heureusement que certains professeurs, après un bilan décourageant, m’offrent le conseil de leur précieuse expérience :

A oui ! C’est sûr il y a toujours plus de raison d’arrêter d’être artiste que de continuer.

Merci ! J’avais justement besoin d’encouragements en ces temps difficiles !

Au fait, aucun élève n’arrive à séparer son amour propre de son travail. Parce que son travail c’est le résultat des mouvements de son affect. Sa volonté et son travail sont des choses fragiles que l’on ne qualifie pas, sous couvert d’humour, de pathétique. Sinon, soit on est complétement inconscient de ce que traverse les élèves soit on se fout de leurs sentiments.

J’arrête ma plainte ici, elle ne s’adresse à personne qui la lira ici. Il faudrait que je fasse un mail ou que j’ai le courage de la réciter à mes prochains accrochages, mais comme les personnes à qui je devait l’adresser m’accompagnent face au jury, je ressens comme un genre de conflit d’intérêt à l’expression sincère de ce monologue. Qui sait peut-être après le diplôme ?

Bon courage à tous.tes ! Bonne année 2022.

Et merci aux étudiant.es, amis et professeurs, qui ont la décence d’être empathique.

Un commentaire »

  1. Écrire avec ses tripes,
    ça se ressent

    Commentaire by Till — 28 décembre 2021 @ 23:00

RSS feed for comments on this post.

Leave a comment

Powered by WordPress