Errances

25 janvier 2022

L’insomnie d’Hedwige

Filed under: - Casimor,passerelles — Casimor @ 00:05

Léon avait éclaté le lendemain de sa suspension. Dans un bus qui rejoignait Granville. Hedwige l’avait lu le matin même dans la dépêche, elle n’avait pas fait le rapprochement. Elle pensait le remplacer temporairement, elle a hérité de son poste pour toute l’année. Les autres surveillant.es sont odieux.ses avec les élèves, les agent.es d’entretiens, les enseignant.es et courbent sagement le dos aux membres de la direction. Les élèves de l’internat ont lentement repris leurs effroyables agitations après le calme qui a suivi l’incident. On lui a demandé de ne pas en parler. Elle doit subir la présence des trois responsables de l’éclatement de Léon à chaque garde de nuit. Elle veut leur dire que Léon a explosé à cause d’eux, qu’il est entre la vie et la mort, qu’ils devraient avoir honte de marcher dans ces couloir, qu’ils ont fait perdre un travail à quelqu’un, qu’ils ne méritent ni la sécurité de l’internat, ni l’affection de leur amis. Elle répète le même monologue à chaque fois qu’elle les croise, ça lui donne mal à la tête. Elle va finir comme Léon, comme Ernest Cordina, on entendra plus parler d’elle, on lui donnera une prothèse le jour où elle s’effondrera sans vie dans la rue. La douleur dans sa tête s’amplifie, elle pleure. Il faut qu’elle empêche la douleur de sortir, elle saisi son crâne à deux main. Ses doigts s’enfoncent dans sa peau. Elle ne dormira pas cette nuit.

Elle sort fumer. Elle croit sentir son estomac se nouer, son cœur chuter, et sa tête siffler. La clope ne suffit pas, il faut qu’elle parle à quelqu’un. Elle ne parle pas à ses collègues, son frère est en voyage, et penser à ses anciens amis lui fait trop de peine. Demain elle n’ira pas au travail, elle a assez entendu que lui passe la torpeur. Elle faut qu’elle aille voir ce qu’il reste de Léon. Facile de retrouver les quasi-morts ces derniers jours. Depuis deux semaines, leurs absences se succèdent, et les prothèses tardent à arriver, alors on les range dans des chambres stériles dans les hôpitaux. Il doit être en réanimation à l’hôpital de Granville.

Elle retourne écouter les messages de Léon. Il ne mentionne pas Granville, il ne voulait peut-être pas la revoir. Peut-être qu’il l’a oubliée. Elle imagine son corps sans vie dans un dôme de verre. Elle l’imagine au fond d’une sale en train de lire ses pensées. Elle l’imagine jouer de la guitare chez lui avec son ancien visage. Elle a besoin de ne plus imaginer, elle veut avoir vu.

Son manteau, ses clefs, 30 francs et son auto l’accompagnent sur la route de Granville.

 

 

 

 

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