Errances

2 février 2019

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Quatrains – Charles Peguy

Coeur dur comme une tour,
Ô coeur de pierre,
Donjon de jour en jour
Vêtu de lierre.

De tous liens liés
A cette terre,
Ô coeur humilié,
Coeur solitaire.

Coeur qui a tant crevé
De pleurs secrets,
Buveur inabreuvé,
Cendre et regrets.

Coeur tant de fois baigné
Dans la lumière,
Et tant de fois noyé
Source première.

Ô coeur laissé pour mort
Dans le fossé,
Coeur tu battais encore,
Ô trépassé.

Ô coeur inexploré,
Vaste univers,
Idole décorée,
Jardin d’hiver.

Ô vase de regret
Plein jusqu’aux bords
Du venin d’un remords
Inespéré…

Ô vieil arbre écorcé,
Rongé des vers,
Vieux sanglier forcé,
Ô coeur pervers…

Coeur qui a tant saigné
D’amour, de haine,
Ô coeur mal résigné
De tant de peine.

Coeur tant de fois flétri
Au dur labeur,
Coeur tant de fois fleuri
Aux soirs de mai…

Coeur tant de fois forgé
Sous le marteau,
Coeur tant de fois crevé
Sous le couteau…

Coeur qui a tant rêvé,
Ô coeur charnel,
Ô coeur inachevé
Coeur éternel.

Coeur qui a tant battu,
D’amour, d’espoir,
Ô coeur trouveras-tu
La paix du soir…

Coeur tant de fois pétri,
Ô pain du jour,
Coeur tant de fois meurtri,
Levain d’amour.

Coeur qui a tant battu,
D’amour, de haine,
Coeur tu ne battras plus
De tant de peine.

Coeur dévoré d’amour,
Te tairas-tu,
Ô coeur de jour en jour
Inentendu…

Coeur plein d’un seul regret
Poignant et bref,
Comme un unique fret
Charge une nef.

Coeur plein d’un seul regret
Poignant et sourd,
Comme un fardeau trop lourd
Charge une nef.

Coeur vaisseau démarré
A charge pleine,
Vaisseau désemparé
De sa misaine.

Coeur plein d’un seul amour,
Désaccordé,
Ô coeur de jour en jour
Plus hasardé…

Dans ce noble séjour,
Coeur attardé,
Plein d’un secret si lourd,
Mur lézardé…

Ô coeur exténué,
Péri d’amour,
Ô coeur de jour en jour
Destitué…

Ô peine aux longs cheveux
Couchée au lit
De l’homme que tu veux
Enseveli.

Ô peine aux longs cheveux
Couchée au long
De l’homme juste et bon
Au même lit.

Enseveli sois-tu
Dans cet amour
Et dans cette vertu
Et cette tour.

Loué sois-tu, coeur frêle,
Pour ta rudesse,
Loué sois-tu, coeur grêle,
Pour ta tristesse.

Pour tes renoncements,
Ô dépouillé,
Pour tes abaissements,
Ô coeur souillé.

Coeur tant de fois cloué
Au dur gibet,
Tant de fois bafoué
De quolibets.

Et pardonné sois-tu,
Notre coeur, vil,
Au nom des Trois Vertus,
Ainsi soit-il.

Tu avais tout pourvu,
Ô confident,
Tu avais tout prévu,
Ô provident.

Tu avais tout pourvu,
Fors d’une fièvre,
Tu avais tout prévu,
Fors que deux lèvres…

Tu avais tout pourvu,
Fors une flamme,
Tu avais tout prévu,
Fors une autre âme.

Tu avais fait ton compte,
Ô prévoyant,
Tu n’avais oublié
Qu’un coeur battant…

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