Errances

En fait les dolmens c’était des abribus

Le soleil est déjà bas dans le ciel et le chant des oiseaux annonce l’imminence de la nuit. Il aura fallu quitter le sentier battu pour affronter la lisière. Afin de s’engager l’on doit d’abord repérer une brèche dans l’épaisse muraille qui fait face et qui, de branches et feuillages enchevêtrés jusque par dessus nos têtes, nous semblerait bien impénétrable. Il n’en est rien, nombre de rongeurs et autres créatures des sous-bois, beaucoup plus aguerris à cet exercice qu’un vulgaire bipède ont déjà entamés un discret passage en dessous du fossé. On s’élance presque accroupi.

Après s’être extrait des premières ronces non sans difficultés le chemin semble plus praticable et la végétation moins dense. Immédiatement c’est ce calme presque solennel qui prévaut, je me sens à l’abri, à la maison. Les dernières lueurs s’atténuent au grès de la progression mais l’obscurité ne m’inquiète pas, j’ai l’impression première d’appartenir à cet environnement, d’être ici chez moi. Cette aisance s’accompagne néanmoins d’une très grande crainte, s’enfoncer seul dans la forêt de nuit cela appelle à la frayeur. Quelle étrange sensation, tout ici m’est familier mais une très ancienne peur plane au dessus de moi, une peur sûrement aussi ancienne que la fascination qui l’accompagne. Je suis en alerte. C’est sûrement ça que je cherche, le vertige. Quel est donc cet élan qui peut bien me pousser en avant de la sorte me suis-je alors demandé ? Revenir à ses instincts naturels pardi ! ai-je immédiatement rétorqué, l’appel de la forêt ça ne se contrôle pas.

Le paysage se découvre progressivement sous le faisceau de la lampe. Par ce geste je fais surgir les formes de l’obscurité, un spectacle grandiose. Tout ici n’est que nature, un méandre de branchages inextricables emmêlés autour de ces troncs enracinés dans un sol jonché de feuilles, là même où surgira plus loin le lierre indomptable grimpant toutes les directions. Les lianes semblent tomber de si haut que l’on n’en aperçoit plus le reste au dessus de l’épais plafond de feuillages qui vient clore notre cocon. C’est une irruption que rien ne semble endiguer, comme un élan décisif échappant à tout contrôle et prolongeant inexorablement sa portée. Il n’y a pas de couleur. La pâleur de la lampe ne laisse qu’entrevoir la structure organique de cet entrelacs qui s’articule tout autour. Le craquement de mes pas sur ce sol chaotique fait fuir quelques volatiles invisibles en un long bruit déchirant le silence pour s’évanouir au lointain, le clou de ce théâtre d’ombres.

Il n’y a plus de sens ici et le chemin n’existe plus, je suis bel et bien au cœur de la forêt