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Elle se trouvait devant une maison. Rébécca ne l’aurait presque pas cru. La bicoque se fondait corps et âme dans la forêt. Elle frappa à ce qui lui semblait être la porte. Quelques instants après, elle s’ouvrait comme si elle n’avait jamais été ouverte depuis cent ans. Les végétaux qui poussaient par-dessus se déchirèrent, même de la mousse vola aux pieds de la princesse. On aurait dit un arbre qui se fendait en deux. Une femme d’un âge moyen – aussi vieille que ma mère, pensa Rébécca – apparu dans l’encadrement de la porte. Robe de chambre et pantoufles, une tisane à la main, des bigoudis dans ses longs cheveux d’un blond passé, elle avait l’air toute conne et muette tellement cette rencontre l’interloquait.
Ça alors, s’exclama-t-elle par-dessus son épaule, les filles! Devinez qui est à la porte!
Quelques bruits de précipitation, et deux autres têtes poussèrent de chaque coté de la première femme. Elles se ressemblaient toutes, avec ce même air de fatigue réveillé par la surprise.
Rébécca! Mais qu’est ce que tu fais là, fit la brune.
Laissez-la donc entrer, interrompit la rousse.
La jeune fille remarqua que les trois femmes avaient des petites ailes rabougries qui leur pendaient mollement dans le dos, les faisant plus ressembler à de vieilles mouches qu’à de gracieux insectes.
Ce qu’elle faisait là, elle n’en savait fichtre rien. Elle ne savait même pas qu’elle venait d’atterrir chez ses marraines les bonnes fées, la blonde-grisée Santé, la rousse Justice et la brune Morale.
Les trois robes de chambre s’écartèrent pour accueillir la princesse fatiguée. L’intérieur de la maison était plongé dans une pénombre boisée. La seule lumière venait du halo bleuté que la télévision projetait sur un canapé et de la lampe de chevet qui éclairait une table. Sur celle-ci s’étalaient des factures et autres administrations. Justice les rejoignit bien vite, absorbée par son travail.
Santé fit assoir Rébécca dans le canapé et lui apporta une tisane. Morale l’assommait de questions, lui faisant presque oublier que c’était plutôt à elle d’en avoir, des questions.
Laisse-la tranquille, interrompit la blonde. Elle a besoin de dormir.
Oui, on verra tout ça demain, renchéri la rousse sans pour autant lever les yeux de ses papiers.
Le lendemain, lorsque Rébécca descendit, les trois femmes l’attendaient campées sur un coté de la table, derrière une tasse de thé. Le jury regardait la princesse descendre les escaliers d’un mouvement unanime. Elle essora ses yeux mouillés d’un revers de main et s’arrêta devant la table, se demandant ce que les trois grosses mouches attendaient d’elle.
Assieds-toi.
Prends ton petit déjeuner.
Pendant qu’elle mangeait, les trois femmes lui expliquèrent qui elles étaient. Qu’elles venaient d’appeler la reine, et qu’elles n’étaient pas du tout, du tout contentes. D’ailleurs la reine ordonnait à sa fille de rester chez ses marraines et que ça lui donnerait une bonne leçon, pardis.
C’est très mal ce que tu as fait, trancha Morale. Le meurtre est un crime envers la société entière.
On est aussi au courant pour tes coucheries avec ce garde, ajouta Santé.
Tu n’étais pas censée sortir de ta tour de cette manière, acheva Justice.
Tu es consciente du sang qui te tâche les mains?
Tu utilisais un préservatif, au moins?
Tu vas devoir répondre de tes crimes.
Rébécca termina sa tartine et se lécha consciencieusement les doigts.
Après quoi elle leur demanda où elles étaient passées, ces seize dernières années. Elles qui étaient ses marraines, ne devaient elles pas veiller sur leur filleule? Elle ne les connaissaient même pas. Elle précisa que jamais elle n’avait couché avec ce garde qu’elle avait tué, mais qu’elle se faisait violer sur l’ordre de sa mère. Non, il n’utilisait pas de préservatif, et déversait bien sa semence de garde dans le royale vagin. La princesse termina en disant qu’à son avis, élever un enfant enfermé dans une tour n’était pas très approprié, même pour une reine.
Qu’en sais-tu? Tu ne connais rien au monde, tu as été élevée enfermée dans une tour.
Quelle horreur! Tu portes peut-être un bâtard dans ton ventre! Sais-tu ce que cela signifie pour la lignée royale dont tu viens?
Comment oses-tu contester les décisions de la reine? Comment oses-tu contester les décisions de cette mère qui t’aime tant et qui prends soin de toi?
Rébécca décida qu’elle ne resterai pas plus longtemps dans cette bicoque, coincée entre trois insectoïdes. Elle avait l’impression de se tenir devant trois exemplaires de sa mère, et ça, personne ne le mérite, pensa-t-elle.