Errances

12 octobre 2023

[Raymonde Arcier, juillet 1976 (Sorcières, n° 17, 1979, p. 118) L’héritage]

Filed under: wanderings,- antide — latige111 @ 23:17

Ce qui me reste de la famille archaïque,

je crois que ce sont mes aiguilles.

Avant on tissait, maintenant ils tissent dehors.

Avant on faisait nos vêtements, maintenant ils les font dehors.

Avant on faisait nos balais, maintenant ils font les aspirateurs dehors.

Avant on faisait notre pain, maintenant ils le font dehors.

Avant… maintenant…

Alors maintenant moi, j’aspire la poussière avec l’aspirateur,

je coupe ma viande avec le couteau électrique,

je monte mes œufs avec le batteur électrique.

J’achète ma petite usine personnelle, en allant travailler dehors,

dans une plus grande usine pour y être payée.

Mais les aiguilles restent.

Je tiens à mes aiguilles

on aura du mal à me les arracher.

Je veux parler à partir de mon héritage de femme,

il me pèse et je ne peux le renier sans me renier moi-même.

Faire des choses presque impossibles avec mes aiguilles,

tricoter du fil de fer avec elles,

transformer le masculin en féminin,

porter ce qui est à l’intérieur à l’extérieur,

grossir pour dehors, ce qui est presque invisible dedans.

Montrer un travail de femme qui explose,

fait craquer le passé, rugir le présent, libère l’avenir.

Tricoter un pull immettable,

des pailles de fer inutilisables,

des sacs de ménagères importables.

Tordre du laiton, chercher.

Rendre souple ce qui est rigide,

rendre fort ce qui est souple,

chercher, sans oublier.

 

https://femenrev.persee.fr/issue/sorci_0339-0705_1979_num_17_1

Un commentaire »

  1. c’est un super texte! merci beaucoup!!

    Commentaire by theo — 12 octobre 2023 @ 23:30

RSS feed for comments on this post.

Leave a comment

Powered by WordPress