Errances

30 décembre 2023

Gujan Mestras

Filed under: - piitzuuu — Piitzuuu @ 21:37

Tommy, Emilie, Mélodie et moi jouons dans la chambre des filles à l’étage. Maman, Papa, Nathalie et Madjid sont en bas, certainement en train de discuter de tout et de rien, de trucs d’adultes auxquels je ne comprends rien. De toute façon, nous sommes en haut à faire les idiots. Très souvent, on passait chacun notre tour pour se donner en spectacle. De danse, d’imitation, de comédie, nous nous satisfaisions de cet espace pour y extraire toutes sortes d’histoires. Emilie debout face à nous nous joue le monstre qui vient nous dévorer. Entre Tommy et Mélodie, la place du privilégié, je me blottis à l’intérieur de la couette qu’iels soulèvent en même temps pour nous cacher. Des pressions de cuisses naissent quand nous ne formions qu’une boule d’enfant et je ne reste pas indifférent au contact de Mélodie. Une seconde se déroule et j’entends le cri aigüe de mon frère suivi de rire de guillis. Emilie nous dévore un par un et la partie recommence. La couette rabattue sur nos tête, le silence est lourd et nous nous enfonçons tous les trois un maximum dans ce canapé-pouf. De nouveau, les pressions moulent nos corps et je me surprends à abandonner ma main effleurant le genoux de Mélodie. Mon coeur s’arrête, mon souffle est en suspens, c’est une drôle de sensation qui m’envahit du dedans. Comme une cage de fourmis et de papillons qui se déverse au fond de mes tripes, leurs pas frissonnent à la vitesse de la foudre dans tous mes membres. Immobilisé, j’ai peur. Emilie monte le ton de sa voix et dans une énième surprise de cris, je sens sur mon pantalon le passage furtif de la main de Mélodie. Une nouveau jeu est né sous la couette. Mais je ne peux déjà plus le savourer. Tommy à mes côtés, je n’ai plus qu’une seule histoire en tête, l’amusement et l’excitation disparus, chassés par la culpabilité. Je ne peux plus faire machine arrière, c’est trop tard, moi aussi je suis cinglé. J’ai commis l’irréparable et je regrette déjà d’être né.

Sur le chemin du retour, dans la voiture, je demande à Maman et Papa sur un air d’innocente curiosité:

« Est-ce que c’est possible d’avoir le sida en touchant le pantalon de quelqu’un ? »

Mes parents semblent légèrement étonnés mais me répondent d’un naturel:

« Non, pas du tout, le sida ça se transmet par le sang ou les parties génitales, le zizi ou la foufoune. Pourquoi ? »

« Ok ah non pour rien du tout ».

Mais je ne comprends rien. Est-ce que ça veut dire que ça peut se transmettre de par dessus le pantalon aussi ? Est-ce qu’en plus d’être un vrai monstre, je peux aussi avoir le sida ?

Le chemin du retour sera rythmé par des vagues de chaleur me piquant à chaque fois plus vicieusement dans les moindres recoins de mon corps, démangeant mes nerfs et perlant mon front, le regard embués de vouloir déjà tout recommencer.

Plusieurs instants me reviennent par flash, sur le parking d’un supermarché jusqu’au lit à en pleurer, je veux pouvoir tout recommencer, que ce geste si vile et démoniaque n’est jamais existé, pouvoir tout reprendre à 0 pour ne rien à avoir à supporter.

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