Errances

20 décembre 2023

Un ange dans l’ombre d’une rue – Brno

Filed under: - piitzuuu — Piitzuuu @ 21:48

Arrivé à 13h20 à Brno après 27h de transport, un manque de sommeil qui frôle la démence, des cervicales brisées après tant de positions tentées dans le bus et un estomac dont l’historique des dernières 48h se résume à un très mauvais ramen et beaucoup de cigarettes, j’écoute mon corps pour la première fois: je dois me nourrir. Je ne connais pas l’envergure du centre-ville, dans un raisonnement déraisonné, je choisis de faire confiance aux dernières ressources de mon corps plutôt que de produire l’effort mental pour comprendre le système de transport en commun. Sans véritablement y songer, je me lance en pénétrant au coeur de la ville trimballant comme un boulet cette boite sur roulette contenant les organes de ma vie primaire, hygiénique, sociale et créative. Après 1/4 d’heure de marche, je vrille et me dirige vers le premier fast-food que je rencontrerai. Quand soudain, en pleine rue commerçante, ma valise tombe en un grand fracas, la poignée toujours dans ma main. Je peine à réaliser les conséquences de ce que cette bourde engendre. Au delà du remboursement de cette dernière à Ninon, (car il ne s’agit pas de ma valise), je n’ai plus la force de trouver une solution pour la déplacer jusqu’au logement qui m’a été attribué. Je relève le boulet, la poignée toujours en main, et regarde dans le vide l’espace de 10 secondes. Cet évènement accumulé à mon état physique m’ont tellement perdu du reste du monde que je n’ai pas entendu l’homme à ma droite qui m’appelle d’un geste de la main. Me ressaisissant après son 3ème appel, je comprends qu’il me dit « need scotch ». Bien sur que je « need scotch » maintenant. Je m’avance vers lui en essayant de rassembler mes esprits. Dans une volonté de ne pas le démunir, je sors ma trousse à couture et tente vainement de fixer la poignée avec mon mètre. Je commence à paniquer lorsque je réalise que ça ne fonctionnera pas et à bout, en plein désespoir, j’accepte son scotch. Il me demande de tenir la poignée contre les deux barres métalliques de la valise pour pouvoir entamer le processus de réparation. Il s’y prend très bien et me parle de sa présence en Tchéquie. C’est un réfugié ukrainien qui à été victime d’un bombardement deux jours après l’annonce de la guerre en Ukraine. Au moment de sa vie où il s’y attendait le moins, il fumait une cigarette dans la rue quand d’un coup on le propulsa à une vie de mendiant dans un autre pays. Sorti de nul part, cet homme roulant à la force de ses bras m’a « sauvé » d’une détresse qui me semble aujourd’hui si risible. Comme un ange sorti de l’ombre de la rue, il a eu suffisamment de bonté pour m’aider, de scotch pour finir la réparation et de malheureuses expériences pour comprendre ce que venir en aide à quelqu’un peut signifier. Je le remercie pour son apparition et le place parmi les signes les plus forts que j’ai pu vivre jusqu’à maintenant. Et pas seulement lors de mon début de voyage à Brno.

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