Errances

25 décembre 2023

914 & Vladimir 3 – Brno

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La peau de mandarine salvatrice

Après une longue journée à errer dans les hauteurs de Brno à réfléchir sur ce début de vie ici, je décide de respecter sans juger la gêne dont Vladimir est empreint en m’acheter ma propre poêle, ainsi qu’un Tupperware et un lot de 4 fourchettes. En rentrant, je me sens doublement heureux de lui annoncer la nouvelle, qui brisera sans aucun doute une bonne dizaine de couches de glace entre nous. Et je vais finalement, dans un de mes hivers les plus rudes, pouvoir manger un vrai bon repas après 3 jours sans avoir ingurgiter un aliment chaud autre que de l’eau infusée à la camomille. Je le retrouve en tailleur sur la chaise de son bureau, l’écran de son ordinateur éclairant son visage absorbé par un jeu, à peine considérant le pas que je viens d’émettre vers lui. Bon. Au moins je vais manger chaud ce soir. Je me lance dans la confection d’un plat simple et efficace de pâtes aux légumes chauds revenu dans l’huile d’olive et de l’ail. Mais l’atmosphère est pleine de sursauts et d’étranges sons qui montent dans les aigus répétant une série de mots en russe. Tout en jouant, je devine que Vladimir est en communication téléphonique intense avec quelqu’un qui partage la même partie que lui. C’est le deuxième soir que je passe ici et c’est la deuxième fois qu’il passe sa soirée à jouer, maintenant accroupi le dos vouté le nez rasant l’écran. « Classica, Classica, CLASSICA! » qu’il gueule et je m’efforce de trouver ça attendrissant. Surement l’odeur de la méditérannée dans la poêle qui me donne des élans de calme et d’entendement. Dans une volonté de faire un repas complet, je saisis une mandarine dans mon tiroir et la jète sur mon lit. Le repas bientôt dans le Tupperware, je me réjouis que maman m’est conseillée de récupérer une série qu’elle a téléchargé en anticipant mon manque de wifi les premiers jours. Le casque chargé à bloc, la fumée des pâtes remontant jusque dans mes narines, j’ouvre mon ordinateur et clique sur le dossier tout en dégustant une première bouchée. « Classica, Classica, CLASSICA! » Il commence à me tendre lui et je mets le casque sur mes oreilles pour atténuer ses cris. Parmi les 5 saisons de la série, je choisis la première et clique sur le dossier tout à gauche. Des vignettes ne figurant pas parmi celles que je connais sont alignées, avec chacun pour titre « épisode 1 », « épisode 2 », « épisode 3 »… Je tente d’ouvrir le premier, comprenant rapidement que ma soirée série/repas tombe à moitié à l’eau. Je n’ai pas l’application nécessaire pour lire ce fichier. Et il m’est impossible de la télécharger dans ce pays. La voix de Vladimir me donne des bouffées de chaleurs qui commencent à remonter à la base de mes joues pour m’envahir jusqu’à la mâchoire. J’engloutie rapidement le contenu de mon plat pour me consoler. Me résignant, j’attrape « Le métier d’homme » d’Alexandre Jollien et la mandarine qui se cache dans les plis de ma couverture. En plus de parler fort, voilà qu’un son frénétique et crissant, que je suppose être son rire, vibre dans mes oreilles. J’épluche le fruit en cherchant dans les mots de l’écrivain la précieuse sérénité dont j’ai besoin en accordant à ma patience beaucoup de sagesse. Je commence la lecture et je ne comprends aucun mot qui défile devant moi. Il se croit véritablement tout seul dans cette pièce et n’a aucune idée du bruit qu’il émet. Après 5 minutes à relire le même paragraphe, le regard vague et sans plus aucun mouvement, je me décide de l’appeler une première fois pour lui demander de baisser le volume de sa voix. Aucune réponse. Il ne m’a surement pas entendu avec tout le boucan qu’il fait. « Vladimir ? ». Rien. « Vladimir !? ». Toujours rien. Je suis tout de même qu’à 3m de lui. « Vladimir !!? » Là, s’en est trop. Je l’ai vu son visage se retenir de se retourner. Pourquoi ? Je sais juste qu’il ne veut pas m’entendre. Dans un excès de bouillon de trop plein de frustration de colère et d’impatience, je chope la première peau de mandarine (la plus grosse) qui me tombe sous la main, et lui lance avec une force et une précision qui me surprend quand je la vois giflée sa joue droite à toute vitesse. Il se retourne et me regarde: « Can you shut the fuck up a lil bit, I can’t even read a sentence from my book ». Ces mots sont sortis aussi droit, sans vaciller, aussi vite que la peau de mandarine à atteint son visage. Tel un enfant contrarié qu’on vient de rappeler à l’ordre, il me jette en retour et sans succès, ce pauvre reste d’agrume, et retourne à son écran. Mais cette fois-ci, plus un son ne sort. Ou du moins, une voix communiquant avec son partenaire de jeu dans un volume raisonnable. Je retourne à ma lecture, le coeur battant fort. Après 5min sans réussir à faire glisser les mots d’Alexandre, je sors fumer une cigarette. Il peut gueuler maintenant. Mais il ne le fait pas. Et il ne le fera plus. Quand je reviens, toujours ce calme après la fulgurante tempête. Surement que la peau de la mandarine doit lui chatouiller la joue à chaque fois qu’il émet un son trop fort. Ça fait du bien de s’exprimer autrement que par les mots et parfois, c’est plus efficace.

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