Errances

1 février 2024

Par les temps qui courent – 5

Filed under: - piitzuuu — Piitzuuu @ 14:35

Trottinant d’une excitation neuve longeant toute la longueur de mon dos, je détends mes bras et m’étire une dernière fois. Dans l’adrénaline d’un drop imminent, je fixe pour ne plus le détacher du regard cette arrivée qui s’érige ouvertement et tel un coup de feu qui retentit, je sprinte. Mais l’air qui chatouille mes rétines maintenant humides ne parvient pas à masquer là-haut les phares des voitures qui apparaissent telle une déception et disparaissent en emportant avec eux tout espoir de traverser le canal. Le buste droit, mes membres ne sont plus que rotations synchronisées que ma conscience seule ne contrôle plus, fusant à tout allure. Il est trop tard pour décélérer et le pont s’approche avec le panache d’un titan bétonné et la frustration d’un désir volé. En dessous, je pénètre dans ce hall entièrement taggué, aux piles démesurées, où dans l’obscurité des recoins la nuit renaît. Franchir sa largeur me donne la distance nécessaire pour ralentir et une fois de l’autre côté, le cœur cogne à en faire résonner ma cage thoracique.

Lacs d’acharnement sous mes yeux, dans un équilibre incertain, je les jette en arrière pour réaliser l’épreuve accomplie. Sans réellement en prendre la décision, comme inconsciemment, je réalise que j’assigne à ce qui précède le pont à une étape résolue, et ce qui figure après à une nouvelle étape à accomplir. Attribuant à ce mastodonte la fonction de repère dans mon parcours errant, je peux dès lors situer un ensemble de symboles au tronçon parcouru.

Dans ce temps de réflexion, mes jambes me portent toujours. Mes muscles chauds sont anesthésiés de toutes douleurs. J’inspire avec un regain de vitalité sonnant aussi doucement que le lead berçant à nouveau mon ouïe d’une douce et céleste mélodie. Revenu à une cadence de course modérée, seul mon tee-shirt porte en zones humides le témoignage de ce passage harassant. La vibration de mes foulées se rapprochant, un groupe de poules d’eau se jette de la rive pour prendre la fuite en diagonal sur le canal. Dans un flegme elle le traversent tout en me toisant. Ce courant qui à l’origine m’accompagnait devient dès lors l’obstacle à passer. Un compagnon arborant maintenant les traits d’un concurrent.

Mon attention ne quitte plus ces oiseaux dont les contours se troublent et se dérobent par la disparition lente du Soleil. L’heure dorée cède à l’heure bleue. L’ondulation émise par le trajet de ces volatiles fait danser le reflet de la Lune. Distrait par ce mirage, je lève la tête à la recherche de cet astre. Quand déjà de nouveau, je distingue en plissant mes paupières, un mince trait bleu inattendu et traversant, qui me redonne le sourire. Si proche de la surface de l’eau, des canards débouchent d’en dessous et semblent devoir baisser la tête pour ne pas se cogner au plafond. Un flux d’énergie se propage jusque dans mes extrémités et dans une énième montée musicale, j’accélère avec plus de vigueur. Cette plateforme basse s’offre rapidement à moi et saluant ma détermination, je sonde le moyen d’y accéder. L’œil s’inquiète à mesure que la distance se réduit et manque d’abandonner une larme quand une signalétique trahit cette voie réservée au transport ferroviaire. Ma gorge se sert de plus belle et je cours aussi lourdement déçu que l’illusion des proportions m’a bernée. Jamais je n’avais autant fantasmé une traversée.

Comment retrouver le goût initial à l’errance quand de celle-ci je ne peux plus me dérober ? Quel sens accorder à la course lorsque mes pieds endoloris ne cherchent qu’une ligne d’arrivée fictive ? Dans un épuisement physique et mental ayant atteint son paroxysme, dans quelle source ma détermination meurtrie peut-elle puiser ?

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