Errances

11 novembre 2021

Les Quasi-mort.es

Filed under: - Casimor,passerelles — Casimor @ 23:58

D’habitude, quand Solveig termine le service du midi, elle va s’oublier dans les bars. Au milieu de l’après-midi, l’atmosphère y est sereine, on joue au carte en vidant, avec lenteur, des bières qui ont l’amertume d’un baiser. La salle se remplie graduellement de visages familiers mais timides, qui se détendent à mesure que les verres se vident. Ils sont une foule qui se précipite à la chaleur du comptoir quand la nuit d’automne rafraichie les rues. Si elle étouffe dans cette multitude, Solveig s’extrait dans les rues pavées de Mont-Michel à la recherche une autre fête. Il lui suffit de suivre le son de la musique mêlée aux railleries du soir. Elle s’occupe, ainsi, jusqu’à l’épuisement à 3h du matin, va dormir, et se réveille juste à temps ré-amorcer le service du midi. Ainsi, les 4 derniers mois sont passés furtivement, affranchis du poids de la privation et de la fatigue, de l’absence de certain.es et de la présence d’autres, et de la sévérité du réel.

Mais depuis une semaine, elle n’y arrive plus. Elle en a croisé. Deux fois lui ont suffit à ne plus vouloir sortir. Au début, boire avec quelqu’un qui n’a qu’une bouche pour parler et boire, c’est fascinant, c’était même très drôle. L’arrivée des céphaloblasté.es au comptoir, c’était une attraction. A Mont-Michel, il n’y en avait, pour l’instant, que 7 pour les 126 000 habitants, tout le monde les connaissaient par  leurs prénoms (dumoins, cell.eux qui osaient sortir). Ca faisait maintenant deux semaines, que les radios ne parlaient que d’eux, de leurs nombres, de la nouvelle législation et des nouveaux produits qui les encadraient et maintenant qu’on les avait en face, on pouvaient enfin les entendre parler. La première céphaloblastée à qui Solveig avait parlée était Nathalie, une femme de 65 ans, qui cachait sa cicatrice sous une affreuse perruque rouge bordeaux. Elle était hilarante, elle parlait de tout sauf de sa condition nouvelle. Puis, en dansant, sa perruque est tombée sous les éclats de rires. Solveig ne riait pas. Elle avait vu : le visage, partiel, de la dame était riant, sa bouche grande ouverte, mais Solveig entendait par dessus ce rire, la voix tremblante de Nathalie. Une voix désincarnée qui s’inquiétait :

Merde, merde, merde, merde, merde ! Je veux pas qu’ils me voient ! Je veux pas qu’ils m’entendent !  Je suis trop conne !

La voix s’était étouffée quand la longue perruque cachait l’absence de visage de Nathalie. Du regard, Solveig cherchait d’autre témoin de ce phénomène de double voix, en vain. Elle n’a pas osé en parlé avec Nathalie, la pauvre lui semblait avoir assez souffert.

Le second était un barbu, une bouche sans âge, à qui elle n’a même pas pu parlé. Il était assis au font d’un bistrot, étouffant et vide, à 16h, habillé dans un élégant costume vert et rouge, les deux mains à plat autour d’un verre de vin qu’il n’entamerai pas. Solveig n’avait pas pu lui parler, d’après le barman, il serait entré sans un mot, et s’est assis.

– Le verre, je lui ai servit sans savoir pourquoi. Confesse, le serveur. Ca m’avait l’air évident. Il a sortit 7 franc de sa poche. Je te jure, il n’y avait que son bras droit qui bougeait. Le reste inerte.

Il est resté comme ça une demi-heure de plus. A 17:28, il est tombé de sa chaise, inerte. Une ambulance est passé le prendre, ils disaient que c’était un malaise bénin. Que les céphaloblastés avaient des absences. Mais Solveig n’arrivait pas à y croire, ça devait être l’étrangeté de trop : le corps de ce type était froid, sa tête à demi-absente, c’est un miracle qu’il ai tenu aussi longtemps. Il ne pouvait être que mort.

 

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